LES DRAPEAUX DE BUREN
Film vidéo, Montréal, 2007.

Les drapeaux de Buren est une pièce construite à partir d'une autre, les 9 couleurs au vent de Daniel Buren, propriété de la ville de Montréal.

 

En avançant dans ma pratique et mes questionnements, je constate que la frontière qui distingue le champ de l’art du monde profane ne matérialise pas le contour d'une institution qu'on pourrait désigner et nommer (les musées, les galeries, les centres d'artistes…). Elle est enroulée en nous-mêmes : on ne devient artiste qu'au terme de l’intériorisation de certaines règles du jeu. Ce phénomène revêt plus d'une forme et porte plus d'un nom. Jeff Wall parle d'une académie intérieure. Pierre Bourdieu désigne par le concept d'habitus « un système de dispositions acquises par l'expérience ».
Difficile de faire apparaître une règle mouvante et non écrite, enfouie au cœur des connaissances intimes, de ce que l'on croit unique : sa propre sensibilité, son goût singulier, les limites de sa perception. Ce travail doit donc passer par une objectivation, une « étude de cas », un « terrain » diraient les sciences sociales. C'est dans cet esprit que j'ai écrit et réalisé Les drapeaux de Buren - comme un travail d'historicisation de ma propre trajectoire d'artiste : dans quelle histoire des formes ma pratique s'inscrit-elle? Dans quelle Histoire cette histoire des formes s'inscrit-elle ?

J'ai emprunté sa mélodie et sa forme à une chanson populaire, La laine des moutons, pour écrire Les drapeaux de Buren. J'ai ensuite donné à interpréter cette chanson à un ensemble vocal de Montréal, les Jongleurs de la gamme, et filmé cette interprétation dans l'église où les chanteurs se réunissent pour répéter leurs morceaux.

Les drapeaux de Buren confrontent deux objets culturels issus de cadres de référence, sinon antagonistes, du moins très hétérogènes ; La laine des moutons fait partie du répertoire populaire des chansons pour enfants, tandis que Neuf couleurs au vent est une œuvre d'art contemporain qui relève d'une esthétique conceptuelle. De même que Daniel Buren a souvent revendiqué l'anonymat programmatique de son « outil visuel » (les bandes verticales alternées blanches et colorées de 8,7 cm de largeur), les paroles de La laine des moutons évoquent un « nous » générique dont on ne sait rien, sinon qu'il est travailleur et rural. J’ai repris ce « nous » à mon compte, en le déplaçant légèrement : il affirme désormais hisser les drapeaux de Buren, les tisser, les livrer, les plier, etc. On pourrait croire que ce chant est celui du personnel chargé d'entretenir l’œuvre d'art publique de Daniel Buren. Or, celle-ci est visuellement absente du film ; elle est seulement évoquée par l’incantation du chœur. Cette décontextualision volontaire, ainsi que ma discrète présence dans le cadre du film, indiquent une autre direction. La voix du chœur des chanteurs, coupée de toute référence extérieure, devient une voix intérieure, celle du « jeune artiste » qui formalise l'intériorisation d’une nouvelle règle du jeu.

Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les tissaine
Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les tissons

Tissons, tissons
Les drapeaux de Buren
Tissons, tissons
Les drapeaux de Buron

Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les livraine
Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les livrons

Livrons, livrons
Les drapeaux de Buren
Livrons, livrons
Les drapeaux de Buron

Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les hissaine
Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les hissons

Hissons, hissons
Les drapeaux de Buren
Hissons, hissons
Les drapeaux de Buron

Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les carguaine
Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les carguons

Carguons, carguons
Les drapeaux de Buren
Carguons, carguons
Les drapeaux de Buron

Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les rompaine
Les drapeaux de Buren
C'est nous qui les rompons

Rompons, rompons
Les drapeaux de Buren
Rompons, rompons
Les drapeaux de Buron